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25 décembre 2008

Coup d'État en Guinée? faut-il encore laisser faire?

Nous avons appris la mort du Président Lansana Conté. Certains s'en réjouissent et dansent, d'autres s'en moquent, d'autres s'inquiètent et ils ont raison, car la dépouille de l'ancien Président n'a même pas eu le temps de se refroidir, que les radios du monde annoncent un coup d'Etat militaire et la voix des putschistes qui étalent leurs piètres griefs pour justifier déjà leur coup de force.

Pourquoi ne l'avoir pas fait plutôt du vivant de leur collègue, le soldat Conté ? Une triste répétition de l'histoire pour la pauvre République de Guinée si le coup de force se confirmait. Faut-il encore laisser faire les militaires pour deux générations à venir ? La Guinée n'a-t-elle pas trop souffert des dictatures militaires ? Sékou Touré aura-t-il finalement fait moins mal à la Guinée que ces régimes militaires qui se passent le témoin une fois tous les vingt cinq ans ? La communauté internationale -encore elle! -, l'Union Africaine -encore elle !-, l'ONU -encore elle !- doivent-elles laisser faire ? Leurs sempiternelles menaces et déclarations vertueuses vont-elles encore accompagner à installer un régime militaire dans un pays qui n'a que assez payé l'inégalable médiocrité de ses dirigeants et tortionnaires et la prise en otage de tout un peuple au cours de tant d'années de peur, de misère crasse, de privations indignes de notre civilisation ? J'en appelle à l'Afrique d'abord, à l'Union Africaine pour qu'elle ne laisse pas faire.L'exemple de la Mauritanie est encore là et les pressions africaines et internationales déstabilisent pour le moment les militaires putschistes qui n'arrivent pas à trouver l'impossible « justificatif » pour demeurer au pouvoir. Il faut maintenir « l'encerclement » ! Promettre des élections libres et démocratiques ne fait plus recette. Cela fait rire. Il faut continuer à être exigeant, sans concessions avec la Mauritanie. Que peut-on négocier avec des putschistes sinon leur indiquer la porte de sortie ? C'est également fini les sempiternelles libations du genre « si on les prive d'aide financière, c'est le peuple qui en pâtira le plus ».
Combien d'années donc le pauvre peuple en pâtit avec l'aide financière en place ? Ce n'est plus là le débat. Le débat est qu'il est enfin temps, au 21ème siècle, que l'ONU s'outille, matériellement et juridiquement, pour que « l'ingérence internationale » soit un droit au service des peuples opprimés.
C'est cela aussi les droits de l'homme, les droits à la vie tout court, à l'exercice d'un peuple à sauvegarder sa dignité, à conférer librement par les urnes le droit démocratique d'être bien gouverné pour manger, s'éduquer, travailler, jouir d'une justice indépendante et égalitaire.
J'ai si mal pour la Guinée, un pays si merveilleux, « béni des dieux » comme aimait le dire Senghor, car tout y pousse, car la saison des pluies y est régulière et abondante, car elle regorge de richesses minières inestimables, car la Guinée jouit d'un climat exceptionnel qui, à certaines périodes de l'année, en fait une Suisse doucereuse, loin du climat tropical chaud et sec, car ce pays à de formidables ressources humaines qui peuvent le servir et le développer.
Pourtant, voilà ce pays laissé depuis plus de trois générations à des vampires inassouvis, des bêtes et des monstres d'un autre âge.
Si nous sommes civilisés, si nous sommes dignes de notre temps, nous devons tous nous lever, lever notre voix pour secourir la Guinée. Il est temps maintenant. Personne ne sait, personne ne comprend comment le peuple guinéen a pu survivre à tant de calamités, de misères, d'injustices, de brimades et de privations. Nous sommes tous des Guinéens à partir d'aujourd'hui ! La Constitution laissée par l'indéfinissable Président Lansana Conté doit être respectée pour que la Guinée puisse aller enfin à des élections civiles démocratiques. L'UA doit y veiller. L'UE doit nous y accompagner.
L'ONU doit voter une résolution dans ce sens. Tous nous devons nous mobiliser pour ce combat. Il peut arriver que des peuples changent le cours de leur propre existence en prenant en charge leur propre libération du joug de l'oppression et de l'injustice. Il peut arriver qu'ils ne le puissent pas. Il peut arriver qu'ils s'en remettent à un Dieu trop occupé ailleurs. Nombre de paramètres culturels, sociologiques, historiques entrent en jeu. La Guinée est devenue un cas déroutant de tragédie sans nom. C'est un pays qu'une longue et très douloureuse oppression a meurtri et tétanisé depuis le régime « psychiatrique » de Sékou Touré. On ne se relève pas facilement d'une nuit aussi noire et infinie. Il n'existe pas en vérité de « tyran sauveur » ! Nous le savons tous maintenant hélas : la politique n'a rien à faire avec la morale et l'éthique. Elle s'en moque. Il n'y a pas, bien sûr, que notre continent, pour le confirmer. Même les Etats-Unis n'y ont pas échappé ces dernières années.
Les régimes politiques guinéens depuis l'indépendance ont été des exemples achevés de barbarie, de cupidité, d'hypocrisie, de tricherie, de corruption. Face à ce drame, comment ne pas être envahi d'un irrépressible élan de révolte et de dégoût devant le monde qui regarde faire ? Tout change aujourd'hui. Il n'est plus possible de dire « je ne savais pas » ou « c'est leur affaire ». Il est fini le temps de la réflexion sur la politique, les régimes dictatoriaux civils ou militaires. C'est le temps d'agir, et vite !
Il y'a un temps pour la pensée et la réflexion et un temps pour l'action. C'est le temps de l'action pour la Guinée. Quand on sait maintenant que « le jeu des démocraties est plus caché, plus retenu, plus subtil que celui des tyrannies », que pouvons-nous attendre des dictatures militaires sans masque ? Nous sommes arrivés aux rivages de l'absurde ! Même la démocratie nous trompe. Il ne faut pas que le prince soit l'Etat, ou pire : tout l'Etat. Oui, il existe tant de « démocraties dégradées » ! Mais nous ne pouvons plus rester des témoins muets, encore moins des voyeurs, car nous sommes restés longtemps des voyeurs, un vice bien partagé sous les tropiques.
La Guinée a besoin de nous. Elle a besoin d'une Union Africaine plus ferme, plus engagée, plus opérationnelle surtout, moins conciliante, attentiste. Qui disait que « les bonnes lois naissent des tumultes » ?
Nous ne pouvons plus être du côté des coups d'Etat militaires ou des coups d'Etat constitutionnels. Ceux qui tentent de les justifier ont tort. L'histoire les rattrape toujours quelque part, un jour, dans leur conscience. Notre pente naturelle doit être la démocratie, le vote libre et garanti des citoyens, même si la démocratie, par sa nature contraignante pour les princes, commence par le devoir de tuer en soi la tentation du pouvoir absolu par un dépassement de soi. Cela exige une infaillible noblesse, une hauteur et un détachement à toute épreuve. Je disais affectueusement à Senghor l'inoubliable, que je n'avais pas partagé sa manière d'avoir passé le pouvoir à Abdou Diouf. Je trouvais la méthode anti-démocratique. Il avait marqué un long silence avant de me répondre que si c'était à refaire, il l'aurait refait, car le temps du Sénégal l'exigeait.
J'ai rapporté ce moment d'échange dans le livre que je lui ai consacré lors de son 100ème anniversaire en 2006, « Senghor : ma part d'homme ». Je n'étais pas bien sûr d'accord avec lui sur cette question, même si son argument fut que notre pays n'était pas encore prêt pour une vraie alternance. Pour ma part, il n'existe pas « un temps » pour garder le pouvoir et « un temps » pour le mettre démocratiquement en jeu. Certains pères des indépendances africaines ont eu souvent ce vilain péché, ce maladroit réflexe. En Guinée, justement, il est temps de laisser la société civile gouverner si le peuple le souhaite souverainement, au regard de la décomposition et de l'insoutenable gâchis économique d'un pays si riche, si prospère, si séduisant. Si les ballets de Keïta Fodéba n'avaient pas existé et fasciné le monde, si l'orchestre du Bembeya Jazz national n'avait pas existé et fasciné le monde, si l'équipe de football du Syli National n'avait pas marqué l'histoire du ballon africain, qu'aurait-on retenu de la Guinée ? C'est bien la culture, en un mot, qui a mis ce beau pays dans le cœur de tous les peuples du monde.
Il est alors temps que la politique, incarnée par des hommes de talent et d'éthique, prenne enfin le relais pour le bonheur d'un grand peuple que celui de Guinée, pour la fierté de l'Afrique, pour le respect d'une civilisation d'un 21ème siècle moins barbare, moins inquiétant, mais apaisant, digne de notre humanité et de nos enfants, demain.

Amadou Lamine Sall
Poète Sénégalais
Lauréat des Grands Prix de l'Académie française