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16 mai 2009

Guinée : détérioration des Droits de l'Homme, le Barreau désenchanté.

Déclaration de l'ordre des avocats de Guinée
Sous la première République, les droits et libertés individuels étaient bafoués. Chaque militant avait l’obligation de faire don de sa personne pour l’édification du système révolutionnaire. La justice, démantelée, était également au service de la révolution. Avec l’avènement de la deuxième république et l’adoption d’une constitution en 1990, les droits et libertés individuels ont été formellement consacrés.

Les citoyens étaient cependant fréquemment victimes de toutes sortes d’exaction de la part d’hommes en uniformes qui se croyaient au dessus de la loi et qui bénéficiaient de l’impunité la plus totale.

La Justice, volontairement reléguée au second plan, était soumise à es interférences et pressions des cadres de l’administration civile et militaire.

La prise du pouvoir par le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) le 23 décembre 2008 a suscité un immense espoir dans les cœurs de l’écrasante majorité des Guinéens excédés les abus du système CONTE.

Le CNDD avait affirmé dans ses toutes premières déclarations radiodiffusées sa volonté de mettre un terme à la souffrance du peuple de Guinée en s’engageant à lutter contre l’anarchie qui caractérisait la Deuxième république, par une meilleure gestion du pays fondée sur la primauté du Droit.

L’espoir des Guinéens était à la mesure des souffrances qu’ils ont endurées pendant les cinquante années d’indépendance nationale.

Quatre mois après la prise du pouvoir par le CNDD, force est de constater que la situation des Droits de l’homme s’est nettement détériorée.

Le Barreau de Guinée, en tant que sentinelle de l’Etat de droit, s’inquiète des multiples intimidations, menaces, agressions, arrestations, détentions arbitraires et autres abus inadmissibles commis par des hommes en uniformes sur de paisibles citoyens.

La prise du pouvoir par le CNDD semble faire croire à chaque militaire ou paramilitaire qu’il exerce une portion de ce pouvoir là où il se trouve.

Cette situation aurait pu être considérée comme le fait d’éléments incontrôlés des forces de défense et de sécurité.

Mais l’existence au sein de la structure gouvernementale d’un Secrétariat d’Etat chargé des conflits a fini par convaincre les défenseurs des droits de l’homme que ces pratiques sont plus ou moins tolérées sinon encouragées par les nouvelles autorités.

Or, bien que les Guinéens vivent dans un régime d’exception depuis l’avènement du CNDD au pouvoir, il existe au sein du Gouvernement un ministère chargé de la Justice et une ordonnance a été prise pour maintenir l’application de toutes les lois de procédure en particulier.

Cela n’est pas une simple bienfaisance de la junte militaire.
En effet, dans toute les sociétés modernes, qu’elles soient de type démocratique ou autoritaire, la mission de rendre la justice est dévolue à des organes spécialisés que sont les Juridictions.

La création d’un Secrétariat d’Etat chargé des conflits, à côté du ministère de la Justice , constitue donc une véritable négation du rôle des Cours et Tribunaux.

Aujourd’hui, des citoyens et même des Avocats sont régulièrement convoqués au Camp Alpha Yaya DIALLO où ils comparaissent soit devant le Secrétaire d’Etat chargé des conflits, soit devant le Président de la République en personne pour débattre de procédures judiciaires à caractère civil, commercial, pénal ou social en l’absence de toute garantie d’ordre procédural, notamment la possibilité de l’exercice des voies de recours.

Même des affaires définitivement jugées depuis de nombreuses années sont exhumées et portées devant le CNDD par des justiciables insatisfaits.

Dernièrement, le Secrétaire d’Etat chargé des conflits affirmait lui-même à la Télévision Nationale qu’il avait plus de quatre mille dossiers à « Juger ».

Cette déclaration aurait pu paraître à sourire si elle ne cachait pas une réalité peu honorable pour la Guinée.

En effet, il résulte de ces pseudo procès, retransmis sous la forme de shows télévisés, des décisions qui n’offrent aucune possibilité de recours dans le contexte actuel mais qui pourraient être remises en cause après le CNDD.

Ce qui serait un éternel recommencement.

Pire, le ministère chargé de la sécurité Présidentielle s’est doté d’une structure dénommé Bureau des Investigations Judiciaires et qui s’attribue des prérogatives reconnues aux Cours et Tribunaux.

La situation est telle qu’à chaque coin et recoin du Camp Alpha Yaya DIALLO ou des autres Camps militaires du pays, se trouve un groupuscule d’hommes en uniformes qui s’érige en tribunal.

En ce qui concerne l’ingérence du Président du CNDD dans les affaires Judiciaires, on ne peut manquer de relever la confusion que l’on tente de créer au sujet de l’appellation de « premier magistrat » attribuée au Président de la République.

Dans le sens le plus moderne, cette appellation s’explique par le fait que le Président de la République est le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et le garant de l’indépendance des juges. Mais il n’est investi d’aucune attribution juridictionnelle ; il n’est pas juge, il ne peut donc juger.

Sous le régime du Général Lansana CONTE, le citoyen se plaignait des interférences du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire.

Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire, encore et toujours aux ordres, est en passe de disparaître complètement du paysage institutionnel de la Guinée.

Les insuffisances de la justice guinéenne sont connues de tous les plaideurs et de tous les observateurs tant nationaux qu’internationaux, et font l’objet de nombreuses critiques malheureusement justifiées dans bien des cas.

Mais quelle que soit la pertinence de ces critiques, elles ne peuvent pas conférer de légitimité aux pratiques actuellement en cours au Camp Alpha Yaya DIALLO et une décision prise à l’occasion d’un litige par un organe compétent en la matière ne peut avoir la même valeur juridique qu’un jugement ou un arrêt rendu par les organes habilités à trancher les conflits.

Ce n’est pas en créant des juridictions parallèles qu’on pourrait résoudre les problèmes de la justice guinéenne.

Le CNDD aurait été mieux inspiré en explorant d’autres voies notamment le fonctionnement normal et correct du Conseil Supérieur de la Magistrature qui exerce des attributions disciplinaires à l’endroit des magistrats du siège coupables de fautes professionnelles et le renforcement des capacités de l’inspection générale des services judiciaires.

La Guinée a d’ailleurs besoin d’une réforme profonde de sa justice en termes de structures, de ressources humaines et matérielles.

C’est pourquoi, le Barreau de Guinée se propose de publier très prochainement un mémorandum sur l’état de la Justice guinéenne et les mesures qui lui paraissent utiles et nécessaires en vue des réformes souhaitées.

Mais d’ores et déjà, le Barreau de Guinée attire l’attention du CNDD sur l’impérieuse nécessité de :

-Supprimer le Secrétariat d’Etat chargé des conflits, le bureau des investigations judiciaires créé au ministère chargé de la sécurité présidentielle et toute autre forme de justice parallèle instaurée dans les camps militaires;
-Mettre un terme à toutes sortes d’immixtions dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire;
-Faire cesser les intimidations, les menaces, les exactions et les arrestations arbitraires.

Conakry, le 13 mai 2009
Pour le Barreau de Guinée
Le Conseil de l’Ordre