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25 janvier 2009

Le début de la dérive du chef de la junte

La récente adresse du Chef de l’Etat faite à la nation Guinéenne nous donne l’image comme s’il venait d’être élu juste par le peuple pour un mandat bien précis. On se souvient qu’il avait demandé aux forces vives de la nation lors de leur rencontre, de s’entendre en vue de formuler au CNDD des propositions relatives à l’organisation des différentes consultations électorales.
Force est de constater qu’en un laps de temps, les partis politiques ont réussi à formuler des propositions dont entre autres la tenue d’élections législatives et présidentielles au courant de l’année 2009. Curieusement, le Chef de l’Etat dans son discours n’a mentionné nul part, la période et l’ordre desdites consultations électorales et ni de l’élaboration de la nouvelle Constitution ainsi que son mode d’adoption. Il s’est contenté de tenir des promesses impossibles à réaliser en l’espace de deux ans.

Le Chef de l’Etat devrait logiquement mettre à profit lors de son discours adressé à la nation pour donner une suite aux propositions formulées par les partis politiques afin de prouver sa bonne foie et sa détermination à honorer son engagement au lieu de se chercher à créer l’illusion d’être en mesure de réussir le pari de développement là où ses prédécesseurs ont échoué en 50 ans d’indépendance.

Cet état de fait devrait amener l’ensemble des acteurs politiques à prendre conscience de l’impérieuse nécessité d’exiger du CNDD une feuille de route claire et précise de la transition à suivre au risque de regretter plus tard leurs divisions et actes de passivité.

Comment pourra-t-on en deux ans réaliser les promesses faites par le Chef de l’Etat en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire ou de création d’emplois ? Une analyse objective relative aux exigences liées à la modernisation de l’agriculture devrait nous amener à examiner les différentes viabilités (techniques, organisationnelles, financières, sociales et environnementales) indispensables à l’atteinte des tels objectifs. Si le Chef de L’Etat avait été plus précis sur le nombre d’hectare de terre irriguée à réaliser, les lieux et les différents paquets d’interventions, nous aurions pu mesurer le caractère du réalisme et du sens de l’équité de son programme.

La modernisation de l’agriculture suppose la maitrise de l’eau à travers des aménagements hydro-agricoles ou de retenues collinaires; l’appropriation des itinéraires techniques; de l’existence de semences améliorées; de la disponibilité d’engrais, de pesticides et de produits phytosanitaires; de l’appui à la professionnalisation des producteurs; de la recherche et du conseil agricole ; de la réalisation d’infrastructures de stockage, de la conservation et de la transformation des produits; du désenclavement des zones de productions et de l’accès à la terre et de la sécurisation foncière.

Quant à la création de l’emploi, nous apprécierons d’être édifié sur le comment il entend tenir sa promesse ? Dans l’hypothèse d’une transition en un ou deux ans tout au plus, l’Etat pourra-t-il mener toutes les reformes ou créer les conditions d’implantation des grandes entreprises pour absorber l’ensemble des chômeurs ? Quand on sait que l’Etat n’est pas en mesure de procéder au recrutement, on pourrait se demander pourquoi se lancer alors dans des promesses qui seront difficiles à réaliser ? Le Ministère en charge de la promotion de l’emploi sera-t-il en mesure de mettre en place des supports techniques et financiers pour soutenir la création d’entreprises économiques rentables ou initier la mise en place d’entreprises d’insertions (employabilité). Il risque fort de n’être même pas en mesure de s’occuper convenablement du sport à plus forte raison de l’emploi des jeunes.

Nous pensons qu’il ne sert à rien de formuler des vœux pieux au peuple de Guinée qui ne sont ni basés sur du réalisme et ni de l’engagement de l’ensemble des parties prenantes à s’occuper des questions fondamentales de développement avec un régime d’exception sommé d’organiser une transition rapide. Il nous semble très peu possible de mobiliser des ressources auprès des partenaires techniques et financiers pour s’occuper des questions de développement. Au contraire, les partenaires clés tels que la CEDEAO, l’UA, l’UE, les USA, etc. se sont manifestés en particulier pour appuyer l’organisation d’élections libres, transparentes et acceptées par tous les acteurs et partenaires. Le chantier pourrait bénéficier sans équivoque de soutien auprès des partenaires.

Le Chef de l’Etat nous a annoncé également son intention d’engager des actions visant la récupération des bâtiments et domaines rachetés ou accaparés par les anciens hauts cadres de l’Etat. Nous saluons cette heureuse initiative pourvu qu’elle concerne tout monde sans exclusive, en commençant par les anciens dignitaires de la première République. Le peuple pourrait être également situé sur le cas des immeubles de la cité de chemin de fer et des sources d’enrichissements de Santillo. Nous supposons que les Audits devront passer au peigne fin les cas des importations de Santillo et de Mamadou Sylla ainsi que l’impôt qu’ils doivent au trésor public. Nous attendons également de voir les nouvelles autorités faire l’Audit des 24 ans de la gestion des villas de la cité de l’OUA, du Novotel, de l’hôtel Camayenne et de la cession de l’hôtel Gbéssia. Il serait souhaitable de faire l’état des lieux sur l’ensemble du patrimoine bâti de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national. Si le but visé est de rendre justice au peuple de Guinée chacun sera fortement édifié sur les réelles motivations du CNDD ou s’il s’agit simplement de vouloir trouver l’alibi pour s’attaquer à leur cible. Par ailleurs, la décision prise par le Chef de l’Etat de confier la responsabilité de la conduite des Audits à des cabinets confirmés et de procéder à l’Audit du Ministère de la Défense Nationale et du service de carburant est à saluer. Car, elle ouvre la voie à l’équité et l’impartialité. Nous fondons l’espoir de voir lesdits Audits être conduits selon les règles de l’art en toute impartialité et objectivité.

Le fait de vouloir blanchir le feu Président Lansana Conté est une aberration totale et constitue une insulte au peuple de Guinée. Est-ce que les nouvelles autorités accepteront-elles de faire objectivement la lumière sur les responsables des tueries et des tortures des pauvres citoyens de la Haute Guinée en 1993-1994 et ceux de Conakry en 1998, 2000, 2006, 2007 et 2008 ? Quel fut le rôle de l’armée Guinéenne dans ces douloureux événements ? Des lors, on pourrait se demander quelle est sa vraie mission ?

Certains journalistes démagogues se permettent de considérer le feu Président Lansana Conté comme un démocrate. S’il en était un, le pays ne serait pas à ce stade. Car, il n’aurait pas changé la constitution dans le but de mourir au pouvoir comme il l’a souhaité. Aucune élection crédible, juste et transparente n’a été organisée en son temps. Sinon comment pourrait-on expliquer qu’il dise vouloir les cinq communes de Conakry et, au finish, les obtenir toutes ? Comment le PUP peut-il remporter les 38 circonscriptions uninominales lors des dernières élections législatives ?
Si par le passé le peuple de Guinée a accepté avec docilité de voir ses taxes et impôts servir à nourrir, à loger et à armer des gens rien que pour tirer sur lui quand il revendique ses droits les plus élémentaires, il ne sera désormais plus prêt à accepter cela. Cela devrait être connu des nouvelles autorités. Evitons de réveiller les morts ou de faire des promesses fallacieuses afin de focaliser nos énergies sur les actes de nature à favoriser la cohésion sociale, la paix et l’instauration d’une véritable démocratie.

Si les nouvelles autorités du pays veulent rentrer dans l’histoire par la grande porte, elles devront s’atteler à poser rapidement des actes concrets qui s’inscrivent dans le cadre de l’instauration d’une démocratie effective. Elles pourront se pencher sur l’élaboration et l’adoption d’une constitution qui garantira l’équilibre entre les différents pouvoirs et qui empêchera toute confiscation éventuelle du pouvoir en favorisant l’alternance démocratique. Elles procéderont à l’organisation d’élections justes, libres, transparentes et acceptées par tous sans prise de position partisane. Elles devront engager des actions vigoureuses pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens vivant sur le territoire Guinéen. Elles initieront le dialogue entre les fils et filles du pays dans une logique de réconciliation nationale. Elles lanceront des reformes ardues au niveau des secteurs clés tels les finances, la fonction publique, la décentralisation et le secteur privé à l’image des pays réformateurs comme L’Ile Maurice, le Botswana, le Ghana, le Burkina, l’Ouganda, le Mali, etc.

Par contre il ne sert à rien de vouloir procéder à la privatisation de SOTELGUI, d’EDG et de la SEG dans le contexte actuel. Car le pays ne pourra pas tirer profit desdites privatisations. Nous risquons de revivre l’expérience amère des privatisations réalisées au lendemain de la prise du pouvoir par le CMRN. L’option idéale serait de transformer ces sociétés en Agence dotée de l’autonomie de gestion qui sera rattachée à la Primature. L’Etat devrait procéder au recrutement sur appel d’offres aux postes clés à pourvoir et mettre en place un système incitatif à la performance et de sanctions positives et négatives.

Il appartiendra au futur Président de la République élu démocratiquement de mettre en œuvre son projet de société qui pourrait certainement couvrir la gouvernance, l’éducation, la santé, les infrastructures de base, l’agriculture, l’emploi des jeunes, la décentralisation et le développement local, etc. Il est tout à fait souhaitable de pouvoir engager la renégociation de l’ensemble des contrats où les intérêts de la Guinée semblent être moins pris en compte. Nous devons mettre à contribution les fils et filles du pays ayant l’expertise confirmée en la matière et faire recours aux spécialistes de grande réputation internationale pour conduire lesdites renégociations dans l’esprit gagnant-gagnant entre les deux parties et non gagnant- perdant.

Le créneau relatif à la prévention et gestion des conflits pourrait être une opportunité pour le Chef de l’Etat et ses compagnons pour promouvoir la consolidation de la paix en Guinée. Ils pourront mettre en place une structure ayant pour mission la préservation de la paix et la quiétude sociale. Cette structure devrait mener des études sur les types et sources de conflits, conseiller les décideurs sur les risques éventuels de conflits, faire du plaidoyer et du lobbying et former les acteurs clés de la nation sur la prévention, la négociation/médiation ainsi que la gestion post conflit en vue de contribuer activement à la pacification du pays. Ils pourront saisir les opportunités existantes auprès du PNUD, de l’USAID, de l’UE, etc. pour réaliser leur mission. Car, aucun développement ne saurait être possible sans la paix. Le Chef de l’Etat pourrait créer également le poste de Médiateur National et nommer une personne de grande probité morale ayant les vertus du dialogue et de la tolérance en vue de faciliter la médiation et la résolution des différents qui opposent l’Administration et les administrés.

Oumar Wann,
Consultant en Gouvernance et Développement Local.
Conakry, République de Guinée